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Droit à un conseil...
mardi, Jan 9th 2018

Droit à un conseil dès l’interpellation : de la portée de la réforme du code de procédure pénale[1] 

Un code, n’est pas plutôt achevé, que mille question inattendues viennent s’offrir aux magistrats. Cette assertion de Portalis se vérifie, une fois de plus, avec la loi n°2016-30 du 8 novembre 2016 portant modification du code de procédure pénale précisément, à propos de l’article 55 nouveau qui prévoit en son alinéa 9 que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage ». S’agit- il d’une disposition à l’effet de conférer un statut à la personne interpellée[2] ou tout simplement d’une formalité liée à la prolongation de la garde à vue? Le moins que l’on puisse dire c’est que cette modification est déjà, source d’une grande polémique.

Les officiers de police judiciaire, sans doute confortés par des magistrats qui ont quelque scrupule à prononcer la nullité du procès-verbal d’enquête de police, rechignent à notifier à l’agent pénal ses droits et se refusent catégoriquement à admettre la présence de l’avocat dès la première heure de la garde à vue, au grand dam du barreau qui s’égosille sur tous les toits[3], à crier à la forfaiture. Mais, à notre sens, les acteurs judiciaires se trompent de débat car c’est moins la question de la reconnaissance du droit à un conseil de toute personne interpellée(I) que celle du statut de personne interpellée (II), qui se pose.

I- La reconnaissance effective (univoque) du droit à un conseil à toute personne interpellée

La question de l’exigence de la présence de l’avocat dès l’interpellation a commencé à être agitée dès l’avènement du règlement n°5/CM/UEOMA relatif à l’harmonisation de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA du 25 septembre 2014[4] (B) avant de se poursuivre avec plus de véhémence dans le cadre de la loi portant modification du code de procédure pénale précitée(A).

A-Dans la loi 2016-30 portant modification du code de procédure pénale

Sans verser dans l’iconoclasme mais au risque de heurter ou de refroidir les ultras conservateurs qui défendent mordicus le statu quo ante, considérant que la nouvelle rédaction de l’article 55 du code de procédure pénale est neutre par rapport à l’ancienne version et pour qui donc, aujourd’hui pas plus qu’hier, le mis en cause n’a droit à un avocat qu’en cas de prolongation de la mesure de garde à vue, il nous semble qu’il s’agit là d’une vaine controverse. En effet, les pourfendeurs de cette disposition nouvelle s’agrippent désespérément à l’insertion malencontreuse du texte dans l’article 55 du code de procédure pénale organisant la garde à vue et immédiatement après le paragraphe sur la prolongation de  ladite mesure, pour justifier leur posture. Or, si la situation du paragraphe objet de la modification peut certes, laisser croire, à première vue,  qu’il se rattache aux dispositions qui organisent le régime de la prolongation de la garde à vue, une lecture plus attentive révèle qu’il n’en est rien et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il faut douter de la fiabilité  de l’interprétation d’un texte uniquement fondée sur son agencement. Ensuite, non seulement les termes du législateur prêtent peu à équivoques avec la référence nouvelle à la « personne interpellée », mais aussi et plus décisivement la lecture de l’exposé des motifs de la loi[5] ne laisse pas davantage persister de doute, s’il en est encore, d’autant plus que ce droit au conseil frappait déjà avec insistance aux portes de notre procédure pénale par le biais du règlement précité.

Il est vrai qu’il s’agit d’un bouleversement, d’une option pour le moins inattendue car le débat était surtout circonscrit autour de la question de l’admission de l’avocat dès la première heure ou dès les premières heures de la garde à vue, avec en filigrane la sempiternelle équation de l’équilibre entre l’efficacité de l’enquête, gage de la préservation de l’ordre public, de l’intérêt général et la protection des droits et libertés fondamentaux[6].

Malgré tout, pour peu que le législateur ait pris le parti de renforcer les droits de la défense, il faut se réjouir de cette avancée de la démocratie et de l’Etat de droit et à fortiori, le juge qui constitutionnellement, est le garant des droits et libertés fondamentaux[7] doit, sans verser dans la recherche d’expédient, prononcer sans état d’âme, la nullité pour sanctionner la carence de l’officier de police judiciaire[8].

En outre, nonobstant cette nouvelle disposition, il est légitime de se demander si le droit à l’avocat dès l’interpellation ne résultait pas déjà du règlement UEOMA sur l’harmonisation de la profession d’avocat.

B- dans le cadre du règlement n°5/CM/UEOMA relatif à l’harmonisation de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA

Aux termes de l’article 5 du règlement précité « les avocats assistent leur client dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police de la gendarmerie ou devant le parquet… ».

La question de l’applicabilité du règlement ne se pose pas dans la mesure que, ce type d’acte a vocation à être directement applicable dans tous les Etats membres dès son entrée en vigueur[9].

Mieux, « il produit des effets immédiats et est comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de protéger[10] ».

Cette précision faite, il semble qu’il n’y ait pas de raisons pertinentes de refuser la présence de l’avocat au stade liminaire de l’enquête pénale. Et cette disposition du règlement est encore beaucoup plus protectrice des droits fondamentaux[11] mais la comparaison des deux régimes n’est pas ici le propos. Donc, sous réserve des développements ultérieurs consacrés à la notion d’interpellation[12], il est exagérément restrictif voire déraisonnable de croire que l’admission de l’avocat ne doit être envisagée que dans le cadre de l’enquête préliminaire.

D’abord pour des raisons syntaxiques avec la construction du texte particulièrement l’usage des virgules qui « autonomisent » les différents termes[13]. Aussi et de façon plus éloquente, l’enquête préliminaire ne requiert pas forcément une interpellation et d’ailleurs au sens strict l’interpellation n’est envisageable, au stade de l’enquête, qu’en cas de flagrant délit[14].

A cet égard, l’arrêt n°149 en date du 22 septembre 2015 de la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar apparait fort critiquable[15], même s’il faut relativiser sa portée en attendant l’interprétation que va donner, le cas échéant, la Cour suprême de cet article 5 du règlement précité.

Par ailleurs, il ne peut être soutenu avec pertinence le fait que le règlement n’a prévu aucune sanction[16] en cas de carence pour éviter de prononcer la nullité car aux termes de notre charte fondamentale, les droits de la défense sont absolus[17]. Autrement, leur méconnaissance constitue une violation procédurale substantielle  susceptible d’être censurée comme telle de nullité, même en l’absence de texte sanctionnateur spécifique[18].

Cela dit, s’il est évident que le législateur a entendu garantir les droits de la défense de la personne mise en cause à l’instant même où elle subit une mesure privative de liberté, il n’empêche que le terme choisi ne renseigne pas clairement et automatiquement sur son champ d’application.

II-Le statut de personne interpellée ?

L’enjeu est de déterminer le champ d’application de ce droit au conseil (B) mais au préalable il est essentiel de savoir ce que recouvre la notion d’interpellation (A)

A-Généralités sur la notion d’interpellation

L’interpellation est un substantif susceptible de plusieurs sens, c’est l’action d’interpeller qui tout aussi polysémique, peut signifier arrêter ou apostropher quelqu’un. C’est aussi, la sommation faite à quelqu’un d’avoir à dire ou à faire quelque chose[19]. En droit constitutionnel, il s’agit d’une demande d’explication adressée par  un parlementaire à un membre du gouvernement, et en droit civil, il désigne la mise en demeure[20]. En droit pénal, le terme peut renvoyer à une sommation adressée par un agent de l’autorité à un individu (suspect, agent de trouble) en vue d’un contrôle ou d’un rappel à l’ordre[21]. Dans le code de procédure pénale sénégalais, son utilisation était jusque-là cantonnée au périmètre de la sommation d’huissier[22].

En substance, la notion d’interpellation renvoie aux concepts de sommation et d’arrestation. Mais dans le premier cas le terme apparait d’un côté trop élastique et d’un autre trop restreint lorsqu’il est réduit à un contrôle ou un rappel à l’ordre[23]. Du reste dans cette optique, l’interpellation peut se concevoir en marge de toute enquête alors qu’au vu du régime juridique organisé par l’article 55 du code de procédure pénale précité, il apparait que l’interpellation n’est envisagée autrement que dans le cadre d’une enquête pénale[24].

L’idée d’arrestation semble primer mais, l’on ne peut manquer de s’interroger sur le recours, à la notion, d’ »interpellée » moins formelle en droit pénal par rapport à celle « d’arrêtée ».

Le choix est sans doute délibéré mais malgré tout, il semble inutile de rechercher des éléments de distinction entre deux termes que la jurisprudence comme la doctrine emploie indifféremment[25]. Il faut donc considérer « l’interpellation » comme un autre synonyme du mot « arrêté » dans notre code de procédure pénale[26] »

Ceci étant, le terme arrestation ou interpellation au sens strict est le fait d’appréhender un individu au corps, c’est-à-dire d’annihiler matériellement la liberté fondamentale d’aller et de venir à son gré, d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction[27]. L’interpellation ou l’arrestation ne concerne que les personnes arrêtées en flagrant délit ou en vertu d’un mandat judiciaire d’amener ou d’arrêt et se distingue de la comparution forcée, de la  détention et de la rétention en l’occurrence de la garde à vue[28].

Elle peut aussi, dans un sens plus inclusif, être définie comme le fait d’appréhender une personne en vue de sa comparution devant une autorité judiciaire ou administrative ou à des fins d’incarcération[29].

Néanmoins, dans l’une ou l’autre acception,  la garde à vue ne semble pas être prise en compte. Ce qui dans l’absolu pourrait signifier, que la personne directement placée en garde à vue à la suite d’une comparution libre, sans interpellation préalable, ne serait pas visée par le texte.

Bien entendu, cette perception n’est guère satisfaisante, tant elle apparait déraisonnable et absurde[30]. Ce d’autant plus que, lato sensu, il peut être admis que la détention ou la rétention comportent en elles-mêmes, nécessairement, une interpellation[31].

Partant de là, la première définition peut être adoptée avec une compréhension de la notion d’incarcération au sens large incluant la rétention en garde à vue et la détention.

Mais le mieux serait de se focaliser moins sur les motifs que sur l’effet de ces mesures de contrainte qui constituent autant de modalités de privation de liberté[32] qui portent atteinte à la liberté d’aller et de venir. Du reste si le droit à l’avocat est admis dès l’interpellation il est tout aussi légitime, à fortiori, de considérer qu’il en est de même pour la garde à vue, car celle-ci dans l’échelle de privation de liberté apparait supérieure.

Dans l’application du nouveau texte, il peut donc être retenu qu’il y a interpellation à chaque fois qu’il y’ a privation de liberté dans le cadre de l’enquête.

Sous ce prisme, à toutes les étapes de la procédure pénale une diversité d’individus peuvent être interpellés, donc privés de liberté. Soit par toute personne en cas de flagrant délit, soit  sur ordre du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement en vertu de mandats d’amener, de dépôt ou d’arrêt, soit être gardés à disposition ou placés en garde à vue par un officier de police judiciaire ou être forcés à comparaître devant ce dernier y compris dans le cadre d’une délégation judiciaire, sans oublier les individus arrêtés et retenus par les fonctionnaires auxquels l’Etat attribue la qualité d’officier de police judiciaire[33]. Mais parmi toutes ces personnes, lesquelles sont effectivement concernées ?

B- le champ d’application

Au vu du cadre légal[34] du droit à l’avocat dès l’interpellation, il est évident que les interpellations intervenues en vertu de mandats judiciaires ne sont pas visées par le texte qui semble être circonscrit au stade de l’enquête de police.

Au-delà,  il faut distinguer deux catégories de personnes, celles qui sont soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, en l’occurrence interpellées en flagrant délit ou placées en garde à vue et, celles qui sans être dans ce cas, sont forcées à comparaitre ou retenues pour les nécessités de l’enquête dans le cadre et dans les conditions de l’article 55 alinéa 1 du code de procédure pénale.

Or, si au regard de l’exposé  des motifs de la loi 2016-30 précité qui justifie le droit à l’avocat dès l’interpellation par la volonté de « renforcer les droits de la défense », il est certain que la personne suspecte interpellée entre dans le champ d’application du texte(1) en revanche pour le reste, le doute est permis car s’agissant d’une personne non suspectée(2), elle n’est pas en principe protégée par les droits de la défense.

1- Le champ d’application univoque : l’interpellation de la personne suspecte

Au regard de notre code de procédure pénale l’arrestation ou l’interpellation stricto sensu sans ordre d’un magistrat  n’est possible qu’en cas de flagrant délit[35]. Toute personne peut y procéder[36] à fortiori un agent ou un officier de police judiciaire. De ce point de vue, il est clair que le texte a entendu régir cette situation, l’enjeu étant surtout de déterminer le délai raisonnable de notification du droit à un avocat lorsque l’interpellation n’a pas été faite par un officier de police judiciaire.

Il est tout aussi certain que ce droit au conseil couvre le domaine de la garde à vue qui est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, dans le cadre de l’enquête de flagrance[37] ou de l’enquête préliminaire[38], sous le contrôle du procureur de la république, par laquelle une personne à l’encontre de qui il existe une ou plusieurs raisons de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, est maintenue à la disposition des enquêteurs dans leurs locaux[39]. Mais à vrai dire, il s’agit là d’une conception restrictive qui correspond à une évolution opérée en France par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits de la victime. Dans notre droit positif, le placement en garde à vue reposant sur un régime plus souple peut être ordonné simplement pour les nécessités de l’enquête[40].

A partir du moment où le droit à un avocat, tel qu’il apparait dans la nouvelle loi, est arrimé à l’interpellation, il transcende tout le régime de la garde à vue, et ne présente à cet effet d’intérêt que dans l’hypothèse où le placement en garde à vue intervient à la suite d’une comparution spontanée ou libre. Dans ce dernier cas, à l’instar de la personne interpellée stricto sensu, l’officier de police judiciaire est tenu également de notifier à la personne placée en garde à vue son droit à un conseil et d’observer les formalités requises, au moment de l’application de la mesure.

Par contre, la personne soupçonnée d’avoir commis un crime ou délit flagrant de terrorisme est expressément exclue du champ d’application du droit au conseil dès l’interpellation, le choix ayant été de tenir compte de la particularité des infractions de terrorisme[41]. De sorte que pour la personne placée en garde à vue dans ce cadre, rien n’a changé, elle n’a droit à un conseil qu’en cas de prolongation de la mesure[42].

Si pour les personnes soupçonnées, dès lors qu’il y a accord sur la notion d’interpellation, le domaine de la règle est d’une implacable acuité, en revanche pour les autres rien n’est péremptoire.

2- Le champ d’application incertain : le sort de la personne non suspectée

A côté de la personne placée en garde à vue, l’officier de police judiciaire peut également garder à sa disposition pour les mêmes motifs de nécessité de l’enquête, une personne pendant 24h dans les conditions de l’article 55 alinéa 1 du code de procédure pénale. Avec la seule nuance que dans ce dernier cas, le délai de 24h ne peut en aucune manière être prorogé.

Il peut s’agir de personnes trouvées sur les lieux de l’infraction ou de personnes dont l’officier de police judiciaire entend vérifier l’identité et de témoins forcés à comparaître[43]. Ce ne sont donc pas des suspects ou en tous les cas elles ne sont pas encore officiellement reconnues comme telles à ce stade de la procédure[44]. Ces individus n’étant pas pénalement mis en cause, ils ne sont pas dans la position de se prévaloir de droits de la défense[45]. Sous ce rapport, lorsque le droit au conseil durant la phase de l’enquête est envisagé dans l’optique stricte des droits de la défense, il va sans dire que les personnes ci-dessus énumérées se situent en dehors du champ d’application du droit à l’avocat dès l’interpellation.

Par contre, si on considère d’une part que le témoin forcé à comparaitre ou le gardé à disposition subit au même titre que le gardé à vue une mesure de contrainte sur sa personne[46], une atteinte à son droit d’aller et de venir dès l’instant que dans l’un ou l’autre cas, il est maintenu contre son gré à la disposition des enquêteurs, sans possibilité de s’en soustraire tant que le délai n’est pas expiré ou que la mesure n’est pas levée. Et d’autre part que ce droit a, vocation, au-delà des droits de la défense, à lutter contre les arrestations et les rétentions arbitraires, à organiser le cadre de l’enquête dans des conditions qui garantissent le respect de la loyauté[47] et de la dignité de la personne[48], on peut en conclure qu’il n’y a pas lieu à faire une distinction-surtout là où la loi n’en fait pas- entre les deux régimes dans la perspective de la reconnaissance du droit à un avocat à la personne interpellée.

Il semble donc que dans la phase de l’enquête, le législateur a entendu conférer un statut à la personne interpellée quels qu’en soient les motifs. Et il s’agit là d’une avancée remarquable et salutaire qui peut constituer une garantie solide pour toutes ces personnes dans une position de vulnérabilité particulière vis-à-vis des pouvoirs inquisitoriaux des enquêteurs.

Conclusion

Par rapport au système français[49] ce nouveau régime présente l’avantage d’offrir une protection au témoin forcé à comparaitre et souffre de l’inconvénient d’ignorer la condition de la personne suspectée mais qui n’est ni interpellée ni placée en garde à vue[50], laquelle est pourtant dans une position de fragilité qui peut annihiler toute sa défense éventuelle.

Mais malgré tout, cette question du statut de personne interpellée est de nature à révolutionner notre système pénale qui avec les interrogations sur la reconnaissance effective de ce statut, son champ d’application ou sa portée se trouve à la croisée des chemins.

Sans doute, la chambre criminelle, aura l’occasion, très vite, de se prononcer et de préciser les contours du droit à l’avocat reconnu à la personne soupçonnée à l’aune du code de procédure pénale et du règlement, avec cette perspective novatrice et heureuse que ces deux régimes combinés peuvent offrir les mêmes garanties en matière de protection des droits et libertés fondamentaux, que le système français. Et l’on espère ardemment que la chambre criminelle fera le pari de la protection des droits fondamentaux.

Mais, il ne faut pas se méprendre, les effectifs actuels du barreau ne permettent pas de satisfaire, partout et tout le temps aux éventuelles sollicitations de personnes interpellées. Et de toute façon la situation économique et sociale de la plupart de nos concitoyens ne leur autorise pas à envisager de se faire assister d’un avocat. De sorte que sans une politique de massification du barreau et de mise en place d’une aide juridictionnelle adéquate, le droit au conseil dès l’interpellation ne sera effectif que pour une poignée de privilégiés. Assurément, tout autant que l’audace du juge, la concrétisation de ce droit requiert des mesures d’accompagnements qui nécessitent une concertation entre les différents acteurs.

El Hadji Birame FAYE,                Magistrat, Auditeur Cour suprême.

[1] Loi n°2016-30 du 8 novembre 2016 portant modification de la loi65-61 du 21 juillet 1965 portant code de procédure pénale.JO n°6976 du 26 novembre 2016.

[2] Il s’agit d’une paraphrase de l’intitulé de l’article de Marc Touiller, « Le statut du suspect à l’ère de l’européanisation de la procédure pénale : entre « petite » et « grande » révolutions, RSC 2015 p 127.

[3] Le bâtonnier de l’ordre des avocats du Sénégal a interpellé directement le Président de la République sur la question lors de son intervention à l’occasion de la rentrée solennelle des cours et tribunaux du 26 janvier 2017.

[4] Entré en vigueur le 1er janvier 2015.

[5]L’exposé des motifs de la loi 2016-30 portant modification du code de procédure pénale précise clairement « qu’en vue de renforcer les droits de la défense, il a paru nécessaire d’admettre l’avocat dès l’interpellation ». Voir Gaëtan di Marino, le recours aux objectifs de la loi pénale dans son application, RSC 1991 p.505.

[6] Dans ce sens voir, Pauline Gervier, concilier l’ordre public et les libertés, un combat continu, AJDA 2016 p2122. , Régis De Gouttes, Avocat général à la Cour de cassation, droit pénal et droits de l’homme, RSC 2000 p.133. Renée Koering-Joulin et Strasbourg Jean-François Seuvic, droits fondamentaux et droit criminel,  AJDA 1998 p.106. Aussi, le thème de la rentrée solennelle des cours et tribunaux du 31 janvier 2001 a porté sur: la justice, l’ordre public et les libertés individuelles.

[7] Art 91 de la constitution du Sénégal. En ce sens conseil constitutionnel français DC du 5 août 1993,n° 93-323, JO du 7 août « il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et, d’autre part, les besoins de la recherche des auteurs d’infractions, qui sont nécessaires l’un et l’autre à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ; qu’il incombe à l’autorité judiciaire, conformément à l’article 66 de la Constitution, d’exercer un contrôle effectif sur le respect des conditions de forme et de fond par lesquelles le législateur a entendu assurer cette conciliation ».

[8] Surtout que cette nullité n’entraine pas forcément la nullité de la procédure. En ce sens voir …in Pradel op.cit.

[9] Dalloz, répertoire de droit communautaire, Effet direct du droit communautaire, Marc BLANQUET n°65 à 66. Art 43 al 1du traité UEMOA « Les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre ». Voir aussi Pape Assane TOURE, l’article 5 du règlement n°5/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à l’assistance de l’avocat dès l’interpellation devant la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar : a propos de l’arrêt n°149 du 22 septembre 2015, affaire Thione SECK.

[10] Marc BLANQUET cité supra.

[11] Avec la référence à l’interpellation et à  l’enquête préliminaire, on peut raisonnablement considérer que le droit à l’avocat au stade liminaire de l’enquête concerne tout suspect qu’il soit arrêté, retenu ou libre comme dans le régime français, mais aussi toute personne retenue pour les nécessités de l’enquête. Et de plus, le règlement prévoit une assistance alors que le Code de procédure pénale organise un entretien même si les modalités de l’assistance n’ont pas été déterminées de sorte qu’en l’état celle-ci risque d’être cantonnée à l’entretien conformément au régime du CPP.

[12] Voir p…sur les généralités sur la notion d’interpellation.

[13] Cette technique autorise à penser que l’assistance de l’avocat est admise d’abord dès l’interpellation, ensuite dans le cadre de l’enquête préliminaire et tout état de cause dans les locaux de la police et de la gendarmerie lorsque leur client y a été convoqué, enfin devant le parquet, que la personne soit contrainte ou libre. Voir Lucie LAUZIERE, Professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval, l’interprétation des lois, p.5

[14] Voir p 4 sur les généralités sur la notion d’interpellation.

[15] Voir à ce propos Pape Assane TOURE. Op.cit.

[16] Cela peut s’expliquer par la technique de l’éclatement de l’élément légal utilisé par le législateur communautaire pour ménager la souveraineté nationale des Etats parties. En ce sens, voir NDIAW DIOUF Actes Uniformes et droit pénal, revue burkinabé de droit, 2001.

[17] Art 9 in fine de la constitution du 22 janvier 2001.

[18] L’inobservation d’une formalité substantielle peut être sanctionnée sans texte et sans grief. Voir art 166 CPP. Le caractère absolu des droits de la défense implique en effet le droit d’intenter des recours ou de soulever des nullités, Conseil constitutionnel Décis. N° 2004-492 DC du 2 mars 2004, JO 10 mars. Desportes op.cit. N°2551.La chambre criminelle considère « qu’il s’agit d’une violation portant nécessairement atteinte aux droits de la défense ».

[19] Voir dictionnaire petit Larousse 2010.

[20] Ibid.

[21] G. Cornu, vocabulaire juridique, PUF, 2009, p.509, interpellation, II.

[22] Voir art 124 et 539 du code de procédure pénale.

[23] Par référence à la définition vocabulaire juridique Cornu op.cit.

[24] Art 55 CPP.

[25] En effet, aucune différence n’est faite dans le langage pénal voir Frédérique Desportes, Laurence Lazergues-Cousquer p. et Serge GUINCHARD, J BUISSON p .op.cit. Jean Pradel, procédure pénale, CUJAS 13ème éd.

[26] Les termes « saisi » à l’art 122 et « appréhendé » à l’art 65 du code de procédure pénale.

[27] Voir Coralie Ambroise-Castérot. Dalloz Dalloz répertoire de droit pénal et de procédure pénale, arrestation, répertoire de droit criminel et de procédure pénale, 1953, arrestation p 155. Frédérique Desportes, Laurence Lazergues-Cousquer Traité de droit pénal et de procédure pénale, 3éd, ECONOMICA, p.1637 n°2514.

[28]Voir  Coralie Ambroise-Castérot cité supra. Frédérique Desportes, Laurence Lazergues-Cousquer.op.cit. p Serge GUINCHARD, J BUISSON, procédure pénale, Lexis Nexis p

[29] Dictionnaire petit Larousse 2010. Cette définition a l’intérêt de réduire à néant la nuance doctrinale de certains auteurs qui s’appliquent à employer le terme interpellé par préférence au terme arrêté lorsqu’il s’agit de l’appréhension physique d’un étranger ou d’un témoin. En ce sens voir F.DESPORTES op.cit. et S. GUINCHARD op.cit.

[30] Dans l’interprétation littérale la règle d’or est d’éviter de donner à un texte de loi une interprétation qui aurait un résultat déraisonnable ou absurde voir Lucie LAUZIERE, Professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval, l’interprétation des lois. Voir aussi Jacques et Louis BORE, Dalloz action, cassation en matière pénale, chap. 104, interprétation de la loi pénale.

[31] On pourrait percevoir l’idée chez P.BOUZAT et J.PINATEL et R.MERLE, A.VITU. Op.cit.

[32] Avec cette précision qu’au sens du droit européen la privation de liberté d’un témoin est une détention arbitraire. Voir en ce sens La notion de « privation de liberté » au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme – Katarzyna Blay-Grabarczyk – RFDA 2016. 777

[33]Frédérique Desportes, Laurence Lazergues-Cousquer .op.cit. Merle et Vitu op.cit.p.857.

[34] L’article 55 du CPP organise un régime qui ne laisse guère place au doute sur le cadre à savoir la phase de l’enquête.

[35] P.BOUZAT et J.PINATEL Traité de droit pénal et de criminologie tom II, DALLOZ 1970, p.1184. R.MERLE, A.VITU Traité de droit criminel, Cujas, 1967, p.847.

[36] Art 65 CPP.

[37] Art 55 CPP.

[38]Art 69 CPP.

[39] Voir PINATEL et BOUZAT, MERLE ET VITU op.cit.

[40] L’article 69 CPP le dit expressément.

[41] L’on peut se poser la question de l’équilibre entre les nécessités d’une action efficace contre le terrorisme et cette atteinte aux droits et libertés fondamentaux. En ce sens le conseil constitutionnel français Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 a retenu «

[42] Art 677-26 nouveau du CPP.

[43] Art 53 et 54 CPP.

[44] Dans le lot des personnes susceptibles d’être retenues en vertu de l’article 55 al 1 CPP, il y ‘a le témoin réel mais aussi le suspect en puissance qui a une sorte de statut évolutif. Voir Serge GUINCHARD, J BUISSON, procédure pénale, Lexis Nexis p.689 et s. Marc Touiller, « Le statut du suspect à l’ère de l’européanisation de la procédure pénale.op.cit.

[45] Frédérique Desportes, Laurence Lazergues-Cousquer .op.cit.p. Marc Touiller op.cit. Cristina MAURO, Dalloz Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Garde à vue.

[46] D’ailleurs en droit pénal, bien sûr avant la réforme de la garde à vue opérée par la loi du 15 juin 2000, les grands auteurs ne faisaient pas la différence, en ce sens voir MERLE et VITU p 857, et BOUZAT et PINATEL  p.1181 op.cit. ; sur l’évolution après la réforme voir Serge GUINCHARD, J BUISSON, procédure pénale, Lexis Nexis p 685 et s.

[47] Voir Hervé Vlamynck, La loyauté de la preuve au stade de l’enquête policière AJ Pénal 2014 p.325. Jean-François Renucci, Le principe de loyauté des preuves RSC 2006 p.879.Pradel op.cit.

[48] Un des arguments majeurs avancé pour l’admission de l’avocat dès la première heure de la garde à vue était fondé sur les irrégularités graves commises par les OPJ durant l’enquête. Pradel op.cit. p503.

[49]Sur le régime français, Jean Pradel Recueil Dalloz 2001 p.1039 les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000. Evolution ou révolution

[50] Sauf à préciser que l’article 5 du règlement ne semble pas laisser le suspect non contrainte physiquement hors de son champ d’application.


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REFLEXION SUR LA...
mardi, Nov 14th 2017

L’ expérience engrangée au niveau des juridictions d’ instance et les différents problèmes rencontrés dans l’application du droit successoral nous poussent à apporter un point de vue sur certaines dispositions du code de la famille ( CF)en particulier celles relatives à la dévolution et à l’ ordre des héritiers dans le droit commun .

En effet les articles 515,520 à 528 du CF définissent quatre ordres d’héritiers en droit commun :

  • Les descendants  constitués des enfants du défunt ou de leurs descendants
  • Les ascendants privilégiés (père et mère) et les collatéraux privilégiés constitués des frères et sœurs du défunt ou leurs descendants ;
  • Les ascendants ordinaires qui sont les grands parents du défunt;
  • les collatéraux ordinaires  (oncles et tantes du défunt) ou leurs descendants;

Les premiers excluent les deuxiémes, ceux-ci en font de même pour les troisièmes qui à leur tour excluent les quatrièmes.

Ainsi, en présence des descendants, les ascendants du premier degré sont écartés de la succession de leurs fils ou filles décédés.

Cette exclusion, du fait de la loi, des ascendants par les descendants suscite en nous quelques réflexions.

Prend –elle en compte les croyances religieuses et les traditions et réaltés sociales sénégalaises ? N’entraine –t-elle pas souvent une certaine inéquité dans les relations familiales au sein d’une communauté ?

Ne faudrait-il pas songer à envisager une réforme pour équilibrer davantage   les droits des héritiers en prenant en compte les intérêts de chaque ordre ?

I – LA PLACE DES ASCENDANTS DU PREMIER DEGRE DANS L ORDRE DES HERITIERS EST -T-ELLE CONFORME A LA SOCIOLOGIE SENEGALAISE ?

Loin de nous l’idée de vouloir donner une réponse dogmatique à cette question. Nous essayons tout juste de susciter le débat en faisant parler notre vécu de juge de la famille et en s’interrogeant sur la source de cette disposition textuelle.

A /Quelle réponse par rapport à notre vécu de juge de la famille?

Le cas d’un dossier d’héritage au niveau du tribunal d’ instance de Tambacounda a éveillé en nous une certaine réflexion .

Il s’agit d’un jeune fonctionnaire décédé laissant derrière lui sa mère, son père, ses petits frères et sœurs, son jeune épouse (avec qui il avait tout juste fait quelques mois de mariage) et son bébé de un mois.

Le défunt qui s’était toujours battu pour mettre ses parents à l’aise, soutenir ses frères et sœurs, les élever à un certain statut social, meurt à la fleur de l’âge.

Etant de confession catholique, sa succession fut dévolue selon les règles du droit commun. Ainsi son épouse et son enfant prirent la totalité de la succession .

La part de l’épouse ne pouvant dépasser le ¼ (voir article 530CF), l’enfant se retrouve avec les ¾.

Les parents du défunt se retrouvèrent totalement écartés de la succession de leur fils ;

Un fils qu’ils ont mis au monde, éduqué, pour lequel ils se sont sacrifiés pour assurer la réussite.

Réussite dont ils ont toujours rêvé bénéficier. Hélas la mort « sournoise » qu’elle est leur retire leur rejeton et le droit commun les prive du patrimoine qu’il a laissé.

Ces parents, devenus inactifs du fait de leur âge, devront-ils vivre dans la pauvreté le reste de leur vie, l’épouse n’ayant aucune obligation, sinon morale, de s’occuper d’eux.

Certes le code de la famille prévoit à son article 263 que l’obligation alimentaire résultant de la parenté légitime existe en ligne directe sans limitation de degré. Ce qui signifie que cet enfant a juridiquement une obligation alimentaire vis-à-vis de ses grands-parents ; l’action en réclamation d’aliments pouvant être dirigée contre son tuteur.

Mais cette obligation, selon le même article, n’existe en ligne collatérale qu’entre frères et sœurs à l’ exclusion de leurs descendants .Ainsi les frères et sœurs germains du défunt ne peuvent réclamer d’aliments à leur neveu.

Encore faudrait –t-il que les ascendants aient connaissance de leurs droits prévus par l’article précité.

Toutefois, même si cet article permet de régler en partie le problème des ascendants, il n’en demeure pas moins que l’exclusion des ascendants du premier degré   est difficilement soutenable au point de vue sociologique.

C’ est là un des inconvénients de la réception dans notre droit national de certaines spécificités du droit civil français.

B / N EST-CE PAS UN HERITAGE DU DROIT FRANÇAIS ?

Cette disposition constitue un héritage du droit français.En effet l’ article 734 du code civil français prévoit les mêmes quatre ordres d’ héritiers que ceux indiqués ci-dessus et précise «  chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants ».

Il faut souligner que la composition de la famille française n’est pas la même que celle sénégalaise.

Le niveau de développement n’est pas le même.

Au Sénégal, la composition de la famille élargie est le principe celle nucléaire une exception.

En plus, dans la tradition française, il est fréquent que les fortunés, de leur vivant, établissent un testament qui leur permet de corriger certaines imperfections de la loi et de faire bénéficier, à qui ils veulent, de leurs biens.

Il est vrai que notre droit prévoit en ses articles 716 et suivants la possibilité d’établir un testament. Mais ces dispositions sont elles suffisamment connues ?

Les mentalités et les habitudes sénégalaises sont-elles suffisamment formatées à cette pratique ?

Peut être qu’une personne disposant de beaucoup de biens peut y songer.

Mais le niveau de pauvreté est souvent tel que peu de gens pensent à y recourir.

Pourtant on peut vivre absolument pauvre mais, suite à un décès par accident, sa succession se révèle assez fournie consécutivement à une indemnisation par des sociétés d’assurance.

A signaler que le code CIMA ( conférence inter africaine des marchés d’ assurance) corrige un tout petit peu l’injustice en indemnisant le préjudice moral des ascendants du premier degré et des collatéraux (que sont les frères et sœurs) du simple fait de leurs qualités d’ ayants droits ( voir article 266 du code CIMA) .

Il est utile, à notre avis, de prendre en compte l’éthique religieuse.

En effet les religions révélées de même que celles traditionnelles accordent une place privilégiée aux ascendants dans le patrimoine de leurs enfants.

Y a-t-il lieu alors de revoir cette disposition ?

II / FAUDRAIT-IL- REDEFINIR L’ORDRE DES HERITIERS ?

Les éléments sus évoqués sont –ils suffisants pour justifier une réforme? Il faudrait se pencher à notre avis sur la question de l’intérêt d’une réforme. Autrement dit, est –ce réellement une demande sociale? Le cas échéant, dans quel sens l’orienter?

A/ Quel intérêt pour une réforme ?

Au Sénégal coexistent différentes confessions religieuses.

Les citoyens de confession musulmane peuvent se retrouver dans les dispositions du droit musulman du code de la famille.

Ce droit prévoit que les ascendants que sont les père et mère ne sont jamais exclus de la succession de leur enfant. Ce sont des héritiers légitimaires.

Certes le code ne prévoit pas que ce droit est exclusivement réservé aux musulmans.

Le texte de l’article 571 s’intitule ainsi «Les dispositions du présent titre s’appliquent aux successions des personnes qui, de leur vivant, ont, expressément ou par leur comportement, indiscutablement manifesté leur volonté de voir leur héritage dévolu selon les règles du droit musulman»

Même si ce texte n’exclut pas les non musulmans de son application, la compréhension qu’en ont la majorité des sénégalais laisse croire aux non musulmans qu’ils n’ont pas la possibilité de choix. Ces derniers se voient contraints de se faire appliquer le droit commun. Ils se trouvent donc dans une situation de non choix.

Le magistrat Youssoupha Diallo , Procureur Généra adjoint aux chambres africaines extraordinaires nous donne le point de vue suivant :

«  il faut tout de même se convaincre qu’il est peu probable qu’une personne de confession chrétienne choisisse de son vivant que sa succession soit réglée selon le droit musulman dans le seul but de voir ses ascendants directs bénéficier de ses biens en cas de décès. Il préférera faire un testament dans ce cas. Aussi, il est exclu qu’on puisse déduire du comportement d’un catholique pratiquant ou non un comportement et une volonté subséquente de voir sa succession réglée selon les règles du droit musulman sauf s’il s’est converti à l’Islam, auquel cas, il est musulman et non catholique. Le législateur, en disposant au Titre III du CF « Des successions de droit musulman », exclut de ce champ les successions de personnes d’autres confessions. C’est à mon avis un droit dérogatoire ou spécial ».

N’ avons nous pas vu les parents de victimes non musulmanes du bateau «le Diola» voir leur indemnisation dévolue selon les règles du droit commun.

Ce qui a mené à des situations assez dramatiques pour des ascendants de naufragés qui avaient des descendants.

Un prêtre du diocèse de Kaolack que nous avons saisi de la question nous dit que l’Eglise peut tenter une médiation dans pareils cas entre les héritiers pour redresser le tort. Mais l’Eglise ne dispose pas de pouvoir de contrainte. Elle ne peut que faire des propositions aux parties.

Ce prêtre de nous préciser que le «  l’évangile n’ a pas prévu de règles spécifiques dans ce domaine ; mais le texte canonique nous dit ( canon 1290) que les dispositions du droit civil en vigueur dans un territoire en matière de contrat tant en général qu’ en particulier s’appliquent à condition de ne pas être en contradiction avec le droit divin.

C’est ce qui est dit aussi dans canon 22 qui dispose que les lois civiles s’appliquent sauf dispositions contraires du droit canonique »

Selon lui l’exclusion des ascendants du premier degré ne parait pas conforme aux enseignements du Christ.

Des connaissances de foi Chrétienne nous ont fait la même confession.

Nous pensons également, que même pour les animistes, une telle exclusion serait difficilement compréhensible.

N’est –t-il donc pas utile d’envisager une réforme ?

B/ Quelle reforme envisager ?

Il est possible de concevoir un système dans lequel les ascendants du premier degré hériteront en toute hypothèse.

Il ne s’agira pas, à notre avis, de leur donner la même part qu’en droit musulman.

En effet dans ce droit la part réservée aux ascendants est assez consistante 1/6 pour le père et 1/6 pour la mère soit au total 1/3 à eux seuls.

Le père peut même avoir plus dans ce droit, en sa qualité d’héritier aceb (ou héritier universel) car en l’absence d’héritier mâle, il prend le reliquat de la succession après prélèvement de la part des autres héritiers légitimaires (mère, conjoint, filles et petites filles issues du fils). Il prend aussi la totalité de la succession en l’absence de ces derniers, excluant ainsi les collatéraux (frères et sœurs ou oncles du défunt et autres ascendants).

La mère prend également, dans ce droit, le tiers de la succession si son enfant décédé n’a pas laissé de descendant ou un nombre de frères ou sœurs supérieur ou égal à deux.

Notre réflexion ne va pas dans le sens d’une critique de ces dispositions que nous respectons .

Mais pour ce qui concerne le droit commun, nous pensons que le père et la mère peuvent, en présence de descendant, à l’instar du conjoint survivant, prendre chacun une part égale à celle d’un enfant le moins prenant.

Cette part signifie la part de l’enfant à laquelle on a déduit les libéralités qu’il avait reçues du de cujus.

Egalement, comme pour le conjoint survivant, que cette part ne soit pas supérieure au quart de la succession.

Telle est la réflexion que nous souhaitons partager avec tout un chacun.

Nous restons perméable à la discussion et réceptif à tout point de vue contraire mieux argumenté que le nôtre.

SALIOU NDIAYE PRESIDENT DU TGI DE FATICK


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Point de vue sur...
mercredi, Nov 8th 2017

L’adoption du projet de loi organique sur la Cour suprême intervenue lors de la réunion du conseil de ministres tenue le mercredi 02 novembre 2016 nous donne l’occasion de revenir sur une problématique qui suscite beaucoup d’intérêt pour ne pas dire de passion : celle du fonctionnement de la justice .

La lecture du texte de loi laisse apparaitre de nombreuses innovations dont il faut saluer la pertinence.
Il s’agit notamment des dispositions concernant :
La commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité présentées par les personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire et qui, par la suite, ont bénéficié d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement (art 107 et suivants du projet) ;
Le fonctionnement du bureau chargé de statuer sur les demandes d’aide juridictionnelle
Les recours offerts aux officiers de police judiciaire en cas de retrait ou de suspension d’habilitation (art 111 et suivants).
Toutefois, une disposition de la loi semble aujourd’hui occulter tous ces aspects positifs : c’est l’article 26, alinéa 2 de la loi qui dispose que : « le Premier président de la Cour suprême est nommé par décret pour une durée de six ans non renouvelable ».
A priori, une telle disposition peut paraître conforme au souci de renforcement de l’indépendance des magistrats. Cependant, une lecture combinée de cet article avec les dispositions du texte portant Statut des magistrats permet de se rendre compte à quel point le texte de l’article 26 est à la fois ambigu (I) et potentiellement néfaste pour la justice dans son ensemble (II).

I : L’ambigüité de la disposition

Aux termes de l’article 26 précité , « « le Premier président de la Cour suprême est nommé par décret pour une durée de six ans non renouvelable ».

Par sa formulation, cette disposition vise manifestement à conférer au président un mandat au cours duquel il ne peut être déplacé. Sous ce rapport, on ne peut nier qu’il s’agit là d’une disposition qui renforce l’indépendance du Premier président en consacrant le respect du principe de l’inamovibilité.

Mais il se trouve que, par ailleurs, l’article 65 du projet de loi organique portant Statut des magistrats, qui s’applique à tous les magistrats sans exception, dispose que : « la limite d’âge des magistrats soumis au présent statut est fixée à soixante-cinq (65) ans ».

Comment concilier l’application de ces deux articles ? Autrement dit, le Premier président (actuel ou futur) qui aura atteint 65 ans devrait-il cesser d’exercer en application de l’article 65 ci-dessus cité ou pourrait-il continuer à exercer jusqu’à expiration de la durée du mandat ?

Nous voyons donc que le problème se trouve moins dans la légalité ou l’opportunité de l’existence d’un mandat que dans sa combinaison avec les dispositions générales du statut des magistrats censées s’appliquer à tous les membres du corps sans exception.
Le projet de loi organique sur la Cour suprême ne comportant aucune disposition de nature à permettre de répondre à cette question, on se retrouve ainsi devant une ambigüité qui ouvre la voie à, au moins, deux interprétations possibles.

A/ 1ère interprétation : le Premier président cesse d’exercer dès l’âge de 65 ans

Cette interprétation, qui nous semble la plus conforme aux textes, est fondée sur la combinaison des articles 26 et 122 du projet de loi organique sur la Cour suprême, d’une part, et 65 du projet de loi organique sur le statut de magistrats , d’autre part.

L’article 122 précité dispose en effet que « Dans les autres matières qui ne sont pas prévues par la présente loi organique, le statut de la magistrature est applicable aux membres de la cour suprême ».
En application de cette disposition, on devrait donc se référer au statut de la magistrature pour toutes les questions (ou matières) qui ne sont pas traitées par le projet de loi sur la Cour suprême.

C’est précisément le cas pour la question liée à la cessation des fonctions qui n’a été traitée par aucune des dispositions du projet de loi organique sur la Cour suprême.

Ainsi, pour le Premier président comme pour tous les autres magistrats en service dans le corps judiciaire , la cessation des fonctions doit intervenir à l’âge de 65 ans conformément aux dispositions pertinentes de l’article 65 précité.
En dépit de la clarté de cette solution qui nous paraît plus fondée en droit, certains ont défendu une autre interprétation qu’il ne serait pas inutile de présenter, ne serait-ce que pour en relever les limites.

B/ Seconde interprétation : Le Premier président exerce, dans tous les cas, jusqu’à expiration de la durée de son mandat.

Selon les tenants de cette thèse, les dispositions de la loi organique sur la Cour suprême devraient prévaloir sur celles du statut de la magistrature en vertu de la règle « le spécial déroge au général ».
En effet, il est de règle que lorsque deux textes d’égale valeur (comme c’est le cas en l’espèce avec deux lois organiques) contiennent des dispositions contraires, c’est la loi spéciale qui doit prévaloir sur la loi générale.

C’est précisément cette solution qui a été appliquée lorsque le même problème s’est posé à la Cour des comptes. Le Premier président de cette juridiction, atteint par la limite d’âge depuis 2015, continue en effet à présider aux destinées de la juridiction en vertu de « son mandat » de cinq ans qui devrait expirer en 2018.

Cette seconde interprétation ne nous paraît pas être la bonne pour une raison simple : Le principe « Le spécial déroge au général » ne s’applique que lorsqu’il y’a une contradiction effective entre deux textes de même valeur. Or, nous estimons qu’au regard de la formulation de l’article 26, cette contradiction n’existe pas même si l’ambigüité demeure sur la portée dudit texte.

Mais en tout état de cause, il nous paraît essentiel de faire observer que notre propos ne vise pas à désigner celle de ces deux interprétations qui devrait prévaloir sur l’autre. Peu importe d’ailleurs que ce soit l’une ou l’autre. En effet, le problème que soulève la disposition de l’article 26 du projet de loi organique sur la Cour suprême relève non pas de l’ordre juridique, mais de l’ordre éthique et moral : ce n’est pas rendre service à la justice que de chercher, par des moyens détournés, à conférer un statut spécial à une autorité judiciaire, fût-elle le Premier président de la Cour suprême. C’est précisément parce que l’article 26 est susceptible d’aboutir à cette conséquence qu’il constitue, à notre avis, une disposition néfaste pour la justice.

II : Les implications néfastes de l’article 26 pour la justice

La simple évocation d’une possibilité pour le Premier président de la Cour suprême, de continuer à exercer ses fonctions au-delà de l’âge limite de 65 ans constitue, à notre avis, une perspective néfaste pour la justice au regard des implications suivantes :

A/ Rupture d’égalité entre les membres d’un corps

Si, comme on peut s’y attendre, l’application de l’article 26 précité devait aboutir à maintenir le Premier président en fonction au -delà de l’âge- limite fixé par l’article 65 du statut de la magistrature, ce serait sans aucun doute, une violation manifeste du principe d’égalité des citoyens devant la loi.

Il s’y ajoute que cette rupture d’égalité serait, à tout le moins, injustifiable. Il serait en effet aberrant que, pour un corps aussi hiérarchisé et organisé que celui de la magistrature, une ou deux personnes puissent, sans aucune raison objective, bénéficier d’un statut spécial dérogeant aux dispositions générales.

B/ Fragilisation de la plus haute autorité judiciaire

Il faut reconnaître que c’est une idée louable que de chercher à renforcer l’indépendance des chefs de cours. Sous ce rapport, l’institution d’un mandat destiné à mettre le Premier président de la Cour suprême à l’abri des velléités de représailles du pouvoir exécutif, est incontestablement, une idée généreuse. Cependant, une telle innovation perdrait tout son intérêt si elle devait aboutir à donner du Premier président de la Cour suprême, l’image d’une autorité qui profite de sa position dominante pour s’octroyer des avantages indus.

Le renforcement de l’indépendance de cette autorité n’a, en effet, de sens que dans la mesure où il permet à la justice de disposer d’un chef suffisamment protégé pour défendre avec énergie et fermeté les intérêts de la corporation. Or, de quelle autorité pourrait se prévaloir un Premier président dont la présence à la tête de la plus haute juridiction serait perçue par ses propres pairs comme étant illégitime, voire illégale ?

L’application de la jurisprudence de la Cour des comptes risque ainsi de mettre à rude épreuve l’unité de la famille judiciaire tant chantée à l’occasion des cérémonies officielles.

La perspective de voir les plus hautes autorités judiciaires bénéficier d’un statut spécial sur l’âge de la retraite ne ferait, en effet , qu’exacerber la césure entre une base de plus en plus dépitée et une hiérarchie accusée de ne pas s’intéresser suffisamment à la défense des intérêts de la corporation dans son ensemble.

En définitive, il nous paraît évident, au regard des implications ci-dessus indiquées, que cette réforme ne grandit ni ses concepteurs, ni ceux qui pourraient en bénéficier. Il est donc de l’intérêt de tous que les dispositions précitées soient reformulées de manière à éviter toute ambigüité sur leur portée réelle.

Il suffirait pour cela, de préciser dans la formulation de l’article 26, que : « Le Premier président est nommé pour une durée de six ans non renouvelable sous réserve des dispositions du statut de la magistrature relatives à la date de cessation des fonctions de magistrat ».

Conclusion

Il serait dommage, au moment où la magistrature sénégalaise est confrontée à tant de défis, que le débat sur la justice soit parasité par une disposition qui, en définitive, ne profite guère à notre institution judiciaire. Mais en tout état de cause, le devenir de notre justice dépendra de notre disposition à faire passer la préservation de la crédibilité du système judiciaire au-dessus de nos intérêts et avantages individuels.

Nous espérons néanmoins que les acteurs de ce processus d’adoption des textes sauront faire preuve de sens de la mesure et se rappeler cette réflexion, encore actuelle, d’Abraham Lincoln : « A la fin, ce qui compte, ce ne sont pas les années qu’il y a eu dans la vie. C’est la vie qu’il y a eu dans les années ».

Souleymane Teliko, magistrat


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OBSERVATIONS SUR LE PROJET...
mercredi, Nov 8th 2017

Lors de l’ouverture de l’Assemblée générale de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) tenue à SALY les 5 et 6 Août 2016, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, a fait part aux magistrats de la décision du gouvernement sénégalais de faire passer, à la prochaine rentrée parlementaire, le projet de réforme portant sur le Statut des magistrats et le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).
Cette réforme, destinée à renforcer les garanties statutaires des magistrats, est naturellement attendue avec beaucoup d’impatience par l’ensemble du corps judiciaire.
La lecture du projet de réforme laisse apparaître beaucoup d’aspects positifs tels que :
• La création de nouveaux emplois judiciaires,
• La réduction de la durée de l’avancement dans l’ordre hiérarchique des magistrats qui peuvent désormais accéder au grade Hors Hiérarchie dès la 18ème année d’ancienneté,
• L’augmentation du nombre de magistrats élus au Conseil Supérieur de la Magistrature,
• L’aménagement d’une voie de recours contre les sanctions prononcées par le Conseil de discipline,
Il nous semble toutefois, au regard des objectifs annoncés, que la réforme comporte des insuffisances qu’il serait utile de redresser.
Ces insuffisances concernent principalement deux aspects : l’indépendance du juge et la gestion de la carrière du magistrat.
DE L’INDEPENDANCE DU JUGE
Deux dispositions nous semblent poser problème :
• L’article 5 relatif à la règle de l’inamovibilité,
• L’article 17 relatif au pouvoir d’avertissement conféré aux chefs de juridiction

A. Les nouvelles dispositions sur la règle de l’inamovibilité
Quand on parle d’indépendance de la justice, il est capital de distinguer ce à quoi renvoie cette notion de ce qui la garantit.
En disposant à l’article 90 de notre Charte fondamentale que, dans l’exercice de leurs fonctions, les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi, le constituant sénégalais a entendu donner l’exacte mesure de cette condition, qui exige des magistrats qu’ils s’affranchissent de toute forme d’influence.
Ainsi entendue, l’indépendance renvoie non seulement à une question d’état d’esprit, mais également aux rapports que la justice entretient avec les autres pouvoirs ou groupes de pression.
Cependant, pour être effective, l’indépendance doit être garantie de manière à ce que le juge soit assuré de pouvoir exercer son office en son âme et conscience sans s’exposer à des mesures de représailles de la part de l’exécutif ou d’un quelconque autre pouvoir.
C’est précisément l’objet de l’article 5 de la loi organique n°92-27 du 30 mai 1992 portant statut des magistrats qui pose la règle de l’inamovibilité, les juges ne pouvant en principe être affectés sans leur consentement, sauf en cas de nécessité de service.
Mais cette règle qui est censée préserver l’indépendance du juge en le mettant à l’abri des velléités de représailles du pouvoir exécutif, a toujours été, en pratique, vidée de sa substance par le recours systématique à la notion de « nécessité de service », installant du coup les juges dans une situation très précaire.
Cette situation de précarité dans laquelle se trouvent la quasi-totalité des magistrats, y compris certains chefs de cour,[[1]]url:#_ftn1 nous paraît incompatible avec la sérénité et l’esprit d’indépendance que requiert la fonction de juger.
Lorsque des membres du conseil supérieur de magistrature, dont le rôle est de veiller au respect des garanties statutaires des magistrats, sont eux-mêmes dans une situation de précarité qui les expose à la colère de l’Exécutif, il devient naturellement difficile pour ne pas dire illusoire, de parler d’indépendance de la justice.
Dans le projet de réforme, de nouvelles dispositions ont été prévues pour remédier à cette situation. C’est ainsi que pour renforcer l’indépendance du magistrat, l’article 5 du statut, devenu article 4, a été modifié ainsi qu’il suit :

Ancien article 5
« Les magistrats du siège sont inamovibles. Ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable.
Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil Supérieur de la Magistrature qui indiquera la durée maximum pour laquelle le déplacement est prévu ».

Nouvel article 4 :
« Les magistrats du siège sont inamovibles.
En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions des articles 89 et suivants.
Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination,
après avis conforme et motivé du Conseil Supérieur de la Magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement et uniquement pour un emploi supérieur ou équivalent à celui qu’ils occupaient précédemment. Cette durée ne peut excéder trois ans ».

L’article 89 auquel renvoie l’article 4, précise que la durée maximale d’exercice de la fonction de chef de juridiction à la tête d’une Cour d’appel, d’un TGI et d’un TI est fixée respectivement à six, cinq et quatre années.
Comme on peut le constater, les modifications envisagées portent sur l’encadrement des affectations pour nécessité de service. Mais à l’analyse, il est aisé de constater que cette modification ne résout pas les préoccupations des magistrats par rapport à la problématique de leur indépendance.
Certes, le nouveau texte a prévu que les nécessités de service doivent être spécifiées et que le juge ne peut être affecté qu’à un emploi supérieur ou équivalent. Mais même si elles ont le mérite d’encadrer l’usage de la notion de nécessité de service, ces deux conditions ne remettent nullement en cause la possibilité pour l’Exécutif de faire déplacer un magistrat jugé « récalcitrant ».
D’une part en effet, l’indication des motifs caractérisant les nécessités de service ne constitue pas une condition suffisamment contraignante pour limiter le recours à cette notion car à supposer même que les motifs avancés ne soient pas convaincants, le magistrat concerné a peu de chance de faire annuler la mesure une fois que le conseil l’a entérinée.
D’autre part, des emplois peuvent être équivalents en droit sans revêtir le même attrait du point de vue des responsabilités et de l’expérience professionnelle qu’on peut en tirer.
Ainsi, avec le nouveau texte, le Doyen des juges pourrait légalement être affecté comme premier substitut ou premier vice-président d’un TGI hors Classe, pourvu que les nécessités de services soient spécifiées.
De même, le président du TI hors Classe de Dakar pourrait se retrouver juge d’un tribunal de grande instance hors classe sans qu’on ne puisse invoquer une atteinte à son indépendance. En tout état de cause, le problème du magistrat réside moins dans la nature de l’emploi auquel le destine la nouvelle affectation que le sentiment de précarité dans lequel le confine la possibilité d’être affecté à tout moment.
Au regard de ces considérations, il nous parait clair que le recours à la notion de nécessité de service, même avec l’encadrement envisagé, contribuera à maintenir le juge dans cette situation de précarité jusqu’ici décriée.
La solution consisterait à notre avis à supprimer toute référence à l’affectation pour cause de nécessités de service et à prévoir, lors de chaque nomination à un poste, une durée maximale d’exercice au cours de laquelle aucune affectation ne serait autorisée sans le consentement de l’intéressé, sauf en cas de faute disciplinaire ou d’empêchement dûment constaté.
A l’expiration de la période, le juge pourrait choisir entre plusieurs juridictions d’affectation. Cette solution aurait l’avantage de concilier le souci de favoriser une nécessaire mobilité professionnelle avec le respect dû à la règle de l’inamovibilité.
L’article 4 pourrait donc, au regard de toutes ces observations, être reformulé ainsi qu’il suit :
« Les magistrats du siège sont inamovibles.
En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré ou d’un empêchement dûment constaté, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions de l’article 89 du présent statut ».
Bien entendu, l’article 89 devrait être complété de manière à inclure tous les magistrats, chaque poste devant être occupé pour une durée précise.

B. Le pouvoir de donner un avertissement conféré aux chefs de juridictions
Le projet consacre une innovation à travers l’article 17 qui dispose que : « En dehors de toute action disciplinaire, les chefs de cour ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. L’avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou sanction disciplinaire n’est intervenu pendant cette période ».
A la lecture de ces dispositions, on ne peut manquer de s’interroger sur l’opportunité d’une telle innovation dans le cadre d’une réforme censée renforcer l’indépendance des magistrats.
Il nous semble au contraire que, tel qu’il est prévu, ce pouvoir risque de constituer une sérieuse entorse à leur indépendance.
En effet, l’article n’indique ni les motifs pouvant justifier un avertissement, ni la procédure à suivre avant d’en arriver à cette sanction. En outre, la possibilité de faire un recours n’est pas évoquée. Ainsi, un juge peut se retrouver avec un avertissement inscrit au dossier sans avoir été entendu ni eu la possibilité de faire un recours. Or, nul ne peut avoir la garantie que tous les chefs de juridiction auront en permanence suffisamment de sagesse pour ne pas abuser de ce pouvoir.
Il est certes louable de chercher à asseoir l’autorité des chefs de juridiction. Mais tout doit se faire dans le respect des règles qui garantissent l’équité dans les procédures administratives ou disciplinaires, à savoir le respect du principe du contradictoire et le droit au recours. A cet égard, nous pensons qu’il vaudrait mieux, à l’instar du statut général de la fonction publique,[[2]]url:#_ftn2 faire de l’avertissement une sanction disciplinaire soumise au même régime que les autres sanctions.
S’agissant des magistrats, le conseil de discipline devrait être la seule instance habilitée à prononcer une mesure de sanction dans le cadre d’une procédure juste et équitable.
Par ailleurs, il nous semble que la réforme envisagée ne garantit pas suffisamment de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats.
I. DE LA TRANSPARENCE DANS LA GESTION DE LA CARRIERE DU MAGISTRAT

La réforme contient des innovations destinées à améliorer la gestion de la carrière des magistrats. Il s’agit de :
• l’augmentation du nombre de magistrats élus au sein du CSM. Ce nombre passe de trois à quatre, le deuxième grade ayant droit désormais à deux représentants élus.[[3]]url:#_ftn3
• la fixation de la durée maximale d’exercice de certaines fonctions[[4]]url:#_ftn4
• L’amélioration des modes d’évaluation du magistrat traduite par une note chiffrée assortie d’une appréciation globale basée sur le professionnalisme et le mérite[[5]]url:#_ftn5
Ces mesures sont loin de correspondre à ce que les Magistrats sont en droit d’attendre d’une réforme du CSM digne de ce nom.
C’est le lieu de rappeler que le magistrat Ibrahima Hamidou Dème a publié, il y a quelques mois, un très intéressant article sur la réforme du CSM[[6]]url:#_ftn6 .
Quelques-unes de ses propositions que nous reprenons ici, nous semblent indispensables si l’on veut aboutir à une gestion véritablement transparente de la carrière des magistrats.
A. Publication des postes vacants et appels à candidature
La logique de transparence et de mobilité professionnelle qui justifie la rédaction de l’article 89 fixant la durée maximale d’exercice de certaines fonctions devrait à notre sens, être renforcée. A l’expiration de la durée prévue à l’article 89, les postes devraient être déclarés vacants et soumis à appel à candidature par la Direction des services judiciaires. Les dossiers de candidature, accompagnés des notes d’évaluation, pourraient être soumis à l’appréciation des membres du CSM pour les propositions de nomination.
B. Le pouvoir de proposer aux postes de nomination devrait revenir exclusivement au conseil supérieur de la magistrature
Aux termes de l’article 8 du statut, c’est le Ministre de la justice qui propose aux postes de nomination. Selon quels critères ? Nul ne peut le dire.
Nous pensons que ce pouvoir de proposition aux postes de nomination devrait revenir au conseil supérieur de la magistrature. Car qui, mieux que les membres du conseil, notamment les chefs de cour, est en mesure d’apprécier les qualités des magistrats et de choisir les personnes répondant aux profils recherchés ?
Cette procédure offre l’avantage de pouvoir mettre fin aux supputations sur les motivations qui seraient à la base de certaines propositions de nominations.
L’article 8 devrait donc être modifié dans ce sens.
A défaut de parvenir à une telle modification, les membres du conseil devraient être mis dans les conditions de pouvoir donner leur avis en toute connaissance de cause. Il nous a été donné d’apprendre en effet que dans la pratique, c’est au dernier moment que les membres reçoivent l’ordre du jour.
Or, ils devraient disposer de suffisamment de temps pour vérifier si les mesures envisagées :
• sont conformes au statut
• ne sont pas susceptibles de créer des dysfonctionnements dans les juridictions
• correspondent aux choix de carrière des concernés
Un délai minimum de quarante-huit (48) heures nous semble indispensable pour examiner sérieusement les propositions de nomination.
Il est temps de mettre un terme à la pratique qui consiste à tenir les réunions du CSM en catimini. Certes, pour justifier cette pratique, on évoque souvent des raisons liées aux interventions jugées intempestives auxquelles on assiste à l’occasion de certaines réunions du CSM.
Cependant, force est d’admettre que ce qui encourage le recours à ces interventions, c’est précisément l’absence de transparence et de lisibilité dans les critères qui président aux propositions de nomination. Il n y a pas mieux que la transparence pour mettre fin aux jeux de coulisse, aux frustrations et au sentiment d’injustice qui gagne de plus en plus du terrain chez les magistrats.
En définitive, les amendements que nous proposons sont les suivants :
v. Concernant le projet de loi sur le statut
• Modifier l’article 4 dans le sens d’une suppression de toute possibilité d’affectation pour cause de nécessité service et préciser que durant la période prévue par son acte de nomination, le juge ne pourra être affecté sans son consentement que pour faute disciplinaire ou empêchement dûment constaté.
• Supprimer l’article 17 et intégrer l’avertissement au rang des sanctions disciplinaires de premier degré prévues à l’article 18 du projet de Statut.
• Compléter l’article 89 et prévoir l’obligation de procéder à la publication des postes vacants et aux appels à candidature.
v. Concernant le projet de loi sur le CSM
• Modifier l’article 8 pour confier le pouvoir de faire des propositions de nomination au conseil supérieur de la magistrature ou, à défaut,
• Prévoir un délai minimum de quarante-huit (48) heures pour la transmission des propositions du ministre aux membres du CSM.
CONCLUSION
Les projets de réforme que le Ministre de la justice a promis de faire passer à la prochaine rentrée parlementaire consacrent sans aucun doute des avancées qu’il faut saluer.
Mais à notre avis, il n’est pas encore tard pour améliorer le texte et envisager des amendements dans le sens d’un renforcement de l’indépendance des juges et d’une plus grande transparence dans la gestion de leur carrière. Car il serait dommage qu’après avoir tant attendu, nous laissions voter un texte qui, par certains de ses aspects, laisserait croire, comme disait Pascal, que : « Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force ».

Souleymane TELIKO, Magistrat


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Se rendre à l’évidence...
mercredi, Nov 8th 2017

Comme prévu, la loi organique portant statut des magistrats est adoptée par l’Assemblée nationale de la République du Sénégal. Cependant, cela ne saurait mettre un terme à la réflexion autour des questions fondamentales de principe qu’elle n’a pas manqué de poser.
Dans ce processus de novation, l’attitude du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, doit être décriée. Elle n’est, en rien, conforme à la délicatesse et à la courtoisie avec lesquelles la République aborde des questions de cette nature et de cette envergure. Son manque de sérénité a littéralement vicié le débat. Alors que ces questions doivent être abordées avec la plus grande souplesse dans une dynamique itérative et inclusive.
Il faut reconnaître que le projet gouvernemental est un pur produit de l’Union des Magistrats sénégalais (UMS. En effet, c’est dans les années 2006 – 2007 que l’UMS a finalisé l’avant-projet qu’il a transmis au ministère de la Justice.
Cependant, des dispositions importantes ont été extirpées de cet avant-projet. Il s’agit, par exemple :
– de l’intégration de l’indemnité de judicature dans l’assiette de cotisation du Fonds national de Retraites (FNR) et dans les émoluments de base du calcul de la pension de retraite, de réversion et de la pension temporaire d’orphelin (PTO) ;
– du principe faisant que les délégués élus des magistrats soient majoritaires au niveau du Conseil supérieur de la magistrature.
Il faudrait reconnaitre, également, que cette nouvelle loi adoptée par le Parlement malgré les vicissitudes et insuffisances, ici et là, recèle d’importantes avancées. On peut citer, notamment :
– la fixation des modalités de désignation des membres élus du CSM ;
– l’instauration d’une majorité qualifiée (2/3) pour les décisions de révocation ou de mise à la retraite d’office prononcées par le CSM ;
– l’encadrement des délibérations du CSM par l’exigence d’un quorum pour les délibérations du CSM (2/3) ;
– la consécration d’un droit de recours contre les sanctions disciplinaires prononcées par le CSM exercé devant la Cour suprême ;
– l’encadrement de la notion de « nécessité de service » justifiant la dérogation au principe de l’inamovibilité ;
– la fixation d’une durée maximale d’exercice des fonctions de chefs de juridiction ou de chefs de parquet.
Ma présente réflexion tentera d’aborder les questions et orientations ainsi qu’il suit :
– la problématique de l’instauration d’un mandat au profit du Premier Président de la Cour suprême et du Procureur général, près ladite Cour ;
– les problèmes soulevés par l’article 65 du statut des magistrats ;
– l’incorporation de l’indemnité de judicature dans la pension de retraite ;
– le nombre de magistrats élus au niveau du CSM ;
– que faire maintenant ?
Problématique de l’instauration du mandat
A mon sens, le mandat est un mécanisme qui participe effectivement au renforcement des garanties d’indépendance et à un climat de sérénité et de stabilité au niveau de cette haute station judiciaire.
Il est déjà instauré au niveau de la Cour des Comptes. En effet, suivant les dispositions de l’article 8 de la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 indique que « le Premier Président de la Cour est nommé par décret pour une durée de cinq ans renouvelable une fois ».
Pour l’efficacité et la justesse du mandat, il serait nécessaire, aussi bien pour la Cour suprême que la Cour des Comptes, de l’encadrer en le mettant sous réserve du respect des dispositions statutaires fixant la limite d’âge des magistrats.
Problèmes soulevés par l’article 65 du statut des magistrats

Les dispositions de l’article 65 du statut adopté par l’Assemblée nationale maintiennent l’âge d’admission à la retraite à 65 ans avec toutefois un relèvement de celui-ci à soixante-huit ans pour les magistrats occupant les fonctions de premier président, de procureur général et de président de chambre à la Cour suprême, de premier président des Cours d’appel et de procureur général , près lesdites Cours.
Selon le Gouvernement, cette nouvelle disposition de l’article 65 du projet de statut des magistrats vise à corriger les effets des départs massifs à la retraite surtout des hauts magistrats. Une idée connexe soutient également la pertinence du projet en s’appuyant sur le statut des enseignants qui prévoit différentes limites d’âge.
Toutes ces deux thèses pêchent, en eaux troubles, par ignorance et défaut de pertinence.
En effet, comment peut-on fonder un argumentaire sérieux sur les départs massifs en précisant « surtout des hauts magistrats ». Alors que sauf une situation de carrière exceptionnelle qui ne saurait fonder une règle, tous les magistrats qui vont à la retraite sont des hauts magistrats, même s’ils n’occupent pas les fonctions visées par l’article 65.
En plus, ceux qui occupent ces fonctions ne sont que 18. Et ces 18 partent à la retraite à des dates différentes étalées sur 4 ou 5 ans, ce qui représente une moyenne de 4 magistrats par an. Ce nombre epsilonesque ne saurait justifier l’avalanche née de cette approche discriminatoire que défend le Garde des Sceaux.
Concernant l’argument adossé sur le statut des enseignants, celui-ci ne saurait prospérer. Car, contrairement à la magistrature, il n’existe pas un seul statut des enseignants. A ce niveau, nous avons au moins deux types de statut. Il s’agit :
– de la loi n°81-59 du 09 novembre 1981 portant statut des personnels enseignants des universités ;
– du décret 77-987 du 14 novembre 1977 portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de l’enseignement.
On ne trouve pas dans ce cas un exemple patent pouvant corroborer la thèse des deux limites d’âge dans un même statut.
Concernant les enseignants du Supérieur, l’article 15 de la loi précitée indique que « la limite d’âge applicable aux enseignants des universités est fixé à 65 ans ».
Pour la deuxième catégorie, le décret cité n’a pas pour vocation de fixer des limites d’âge car cela ne relève pas du pouvoir réglementaire. Ce décret est un acte d’application de la loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires qui a fixé la limite d’âge applicable aux fonctionnaires à 60 ans.
Comme on le voit ainsi cette situation des enseignants est différente de celle des magistrats qui, eux, relève, d’un même statut qui est, en plus, une loi organique.
D’autres utilisent l’argument des militaires et des paramilitaires pour justifier les deux limites d’âge. Alors que, dans ces secteurs, cette différence ne s’explique que par le fait que l’activité de différents corps à la base des pyramides (soldats, gendarmes, agents de police, préposés des douanes, agents techniques des eaux et forêts, agents d’hygiène, agents techniques des parcs nationaux…) fait appel à une intense activité physique soutenue.
Corrélativement à cette mesure, on invoque, en outre, l’abaissement de l’annuité pour l’accession à la hors hiérarchie. C’est ainsi que les magistrats ayant 18 ans de carrière, au lieu de 21 ans dans la situation présente, pourraient être promus à un emploi hors hiérarchie. On présente la mesure sous des habits révolutionnaires qui tromperaient plus d’un. Alors que même si la mesure est à approuver, à elle seule, n’a pas beaucoup d’effet. En effet, le passage en hors hiérarchie est assujettie, essentiellement à l’existence de postes budgétaires. Le nombre de postulants va augmenter considérablement sans qu’il y ait une modification conséquente du nombre de postes à pourvoir. La majorité sera comme’ à l’accoutumée, laissée en rade devant les grilles blindées de la hors hiérarchie.
Incorporation de l’indemnité de judicature dans la pension de retraite
C’est un secret de polichinelle que l’Etat n’a cessé de prendre des mesures de relèvement des salaires des magistrats. Ce qui est tout à fait juste. En effet, il est nécessaire de mettre les magistrats (le pouvoir judiciaire) dans des conditions de sécurité qui les mettent à l’abri du besoin et de toute forme de tentation.
Mais, une telle approche ne saurait se limiter au magistrat en activité. Les magistrats à la retraite doivent être visés par une telle revalorisation. Pour cela, il est plus judicieux de faire cotiser les magistrats plus, du fait de leur niveau de salaire élevé, et de leur concéder une meilleure pension de retraite. Pour cela, il s’agissait tout simplement d’assujettir l’indemnité de judicature des magistrats à la retenue pour cotisation du Fonds national de Retraites. L’on nous rétorque que les indemnités ne cotisent pas au FNR et ne peuvent pas être rémunérées en pension. Ce qui est loin de correspondre à la réalité.
En effet, l’article 28 modifié de la loi n°81-52 du 10 juillet 1981 portant Code des Pensions civiles et militaires de Retraites incorpore dans le calcul de la pension l’indemnité d’enseignement versée aux enseignants. Ainsi, un professeur d’université titulaire de classe exceptionnelle de 3ème échelon qui a le même indice que le Premier Président de la Cour suprême ou de la Cour des Comptes (ainsi que les procureurs généraux prés lesdites Cours) perçoit, presque le double de la pension du haut-magistrats. Sur quelle base ?
En accédant à cette requête, l’Etat rétablirait les équilibres et mettrait fin à une telle inégalité.
Nombre de magistrats élus au niveau du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM)
La réforme du CSM doit prendre en compte la nécessité d’augmenter considérablement le nombre de magistrats élus par leurs pairs. Ceux-ci doivent y être majoritaires. Ici, également, l’on nous rétorque souvent qu’en dehors du Président de la république et du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, tous les autres membres du CSM sont des magistrats.
Ce qu’il faudrait comprendre c’est que les magistrats membres de droit du CSM (Premier Président Cour suprême, Procureur général, près la Cour suprême, les premiers présidents des différentes Cours d’Appel au nombre de quatre et les procureurs généraux, près lesdites Cours) ne sont pas les délégués des magistrats et ne sont pas obligés de leur rendre compte.
Par conséquent, il est nécessaire, si l’on veut renforcer l’indépendance de la magistrature, d’inverser les proportions afin que les magistrats élus par leurs pairs soient majoritaires au niveau du CSM. Cependant cette mesure, également à elle seule, serait insuffisante. Il s’agira de l’accoupler avec l’énoncé de critères clairs et précis pour les postes à pourvoir. En plus, la concurrence devrait être ouverte avec un appel à candidature avant toute nomination au CSM.
Que faire maintenant ?
Il se pourrait que le Conseil constitutionnel soit une issue à la crise en état de latence. Sa saisine est obligatoire avant l’entrée en vigueur de l’acte adopté par l’Assemblée nationale. En effet, suivant les dispositions de l’article 78 de la Constitutions, « les lois qualifiées organiques par la Constitution sont votées et modifiées à la majorité absolue des membres composant ’Assemblée nationale.
Elles ne peuvent être promulguées si le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi par le Président de la République, ne les a déclarées conformes à la Constitution ».
Dans ce cadre, le Conseil pourrait, valablement, invoquer la rupture d’égalité du fait des deux limites d’âge. Ce qui obligerait le Gouvernement à revoir sa copie.
A défaut, la loi étant votée, il s’agira de ne pas rompre le dialogue et d’utiliser toutes les ressources disponibles afin que les réponses les plus pertinentes soient trouvées et apportées. La réforme du statut des magistrats e saurait être le lit d’une bataille entre différents pouvoirs de la République.
Il est clair, sur cette question et sur toute autre question, que les magistrats ne sauraient se saborder en passant outre les possibilités légales. Nos actions et notre mobilisation se feront dans le strict respect de la loi.
Pour cela, le Gouvernement ayant pris l’initiative de la limite d’âge fixée à 65 ans pour certains devrait, dans un souci d’apaisement, généraliser cette mesure pour tous les magistrats.
Aliou NIANE
Ancien Président de l’Union
des Magistrats sénégalais
(UMS)


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Sur la réforme de...
mercredi, Nov 8th 2017

Le 03 novembre dernier, le gouvernement du Sénégal faisait passer en Conseil de ministres un projet de loi organique sur la Cour suprême comportant beaucoup d’innovations. A la suite de la levée de bouclier des magistrats, le gouvernement retira la disposition qui prévoyait un mandat pour le Premier président de la Cour suprême.
Mais le lendemain, le Garde des Sceaux, ministre de la justice, annonça sur le plateau de la télévision RTS que, finalement, il avait été décidé de relever l’âge de la retraite pour une catégorie de magistrats dont le Premier président de la Cour suprême et le Procureur général près ladite cour.
Le samedi 26 novembre 2016, l’Union des magistrats sénégalais (UMS) faisait publier, à l’issue d’une assemblée générale extraordinaire, une résolution par laquelle les magistrats marquaient leur désapprobation par rapport à cette modification de leur Statut et appelaient au maintien du statut quo sur l’âge de la retraite.
Cette position de l’UMS nous semble amplement justifiée au regard des enjeux de la réforme envisagée.
En effet, si, par son contenu inédit et le procédé peu orthodoxe utilisé pour sa mise en œuvre, le projet initial relatif au mandat posait, incontestablement, des problèmes d’ordre éthique et légal, cette nouvelle réforme de l’article 65 du Statut des magistrats nous paraît tout autant discriminatoire ( I ) et porteuse de dangers pour l’indépendance de la justice ( II) .

I : la réforme de l’article 65, une mesure discriminatoire

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme commence par cette phrase saisissante : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». La notion d’égalité en droits et son corollaire, la non-discrimination, sont au cœur même de la protection des droits de l’homme.
S’appliquant à tous les domaines régis par la loi et à tous les secteurs de l’activité publique, le principe d’égalité devant la loi se décline, dans la fonction publique, en trois composantes :
• Principe d’égal accès aux emplois ;
• Principe de l’égalité des sexes ;
• Principe de l’égalité de traitement.
Cette troisième composante traduit bien la portée du principe de non discrimination défini comme étant l’interdiction de procéder à un traitement différencié de personnes se trouvant dans la même situation juridique.
Ainsi, une différence de traitement cesse d’être une discrimination dès lors que l’une des conditions suivantes est réunie :
• Les situations en cause ne sont pas identiques : par exemple, il a été jugé que la situation d’un couple marié n’est pas analogue à celle d’un couple non marié[[1]]url:#_ftn1 et qu’en pareil cas, un traitement différencié pouvait se justifier.
• Il existe des raisons objectives et raisonnables : Cette condition s’apprécie par rapport au but et aux effets de la mesure considérée.
La différence de traitement n’est donc constitutive d’ atteinte au principe de non- discrimination qu’en cas de situations juridiques analogues et d’absence de raisons objectives et raisonnables pouvant justifier ladite différence de traitement.
Qu’en est-il de notre projet de réforme ?
Aux termes de l’article 65 dudit projet : « La limite d’âge pour les magistrats soumis au présent statut est fixée à 65 ans.
Toutefois, est fixée à soixante -huit ans la limite d’âge des magistrats occupant les fonctions de Premier président, de Procureur général et de président de chambre à la Cour suprême. Il en est de même pour les magistrats occupant les fonctions de Premier président et de Procureur général d’une cour d’appel ».
Cette réforme fait ainsi la part belle à un groupe restreint de magistrats, en l’occurrence 18 d’entre eux sur plus de 500 que compte l’effectif du corps.
La différence de traitement est donc manifeste. Reste à savoir si elle est justifiée au regard des deux critères posés plus haut.
Les deux situations sont-elles identiques ?
Certains, pour trouver une justification à cette mesure, ont fait le parallèle avec la situation du corps des enseignants où la limite d’âge pour la retraite n’est pas la même pour tous. Il s’agit là d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, il faut rappeler que le corps des fonctionnaires est classé, en fonction du niveau de recrutement, en catégories ou hiérarchies A ( fonctionnaires de conception, de coordination ou de contrôle), B ( fonctionnaires d’exécution), C ( fonctionnaires d’exécution moyenne) , D ( fonctionnaires exécutant des tâches simples) ou E ( fonctionnaires exécutant des tâches manuelles).
Chacune de ces catégories comporte des grades qui donnent vocation à occuper des emplois.
Si les rémunérations et les primes peuvent varier d’un grade ou d’un emploi à l’autre, les conditions d’accès ou de cessation de fonction restent, en revanche, les mêmes au sein de chaque catégorie. Les différences de traitement notées au sein du corps des enseignants viennent du fait que ces derniers appartiennent à plusieurs catégories, en fonction du niveau de recrutement. Ainsi, le professeur d’université n’est pas de la même catégorie que le professeur d’enseignement moyen secondaire (B)
Les enseignants relevant, selon leur niveau de recrutement, de catégories différentes et n’étant donc pas dans une même situation juridique, la différence du traitement qui leur est réservé relativement à l’âge de la retraite ne peut donc constituer une violation du principe de non-discrimination.
Il en est de même des militaires qui partent à la retraite à 45, 56 ou 60 ans, selon qu’ils appartiennent à la catégorie des hommes de troupes, des sous-officiers ou des officiers. La limite d’âge de 45 ans fixée pour les hommes de troupes s’explique en partie par les aptitudes physiques que requiert l’accomplissement de leur mission.
Concernant, par contre, le corps de la magistrature, aucune différence de cette nature ne peut être invoquée dans la mesure où tous les magistrats (du débutant au Premier président de la Cour suprême) relèvent du même niveau de recrutement et exercent la même nature d’activité. La réforme envisagée qui est adossée à l’emploi, va ainsi instaurer une discrimination entre des personnes relevant de la même catégorie.
D’où l’intérêt de s’interroger sur le bien-fondé de cette différence de traitement.
Existe-t-il des raisons objectives pouvant justifier cette discrimination ?
Ce second critère permet de situer la portée de l’exemple français, très souvent cité par les partisans de la prorogation de l’âge de la retraite pour une catégorie de magistrats. Certes, le Premier président de la Cour de cassation française et le Procureur général près ladite cour ne prennent leur retraite qu’à l’âge de 68 ans alors que leurs autres collègues ont juste la possibilité de solliciter une prorogation qui peut leur être refusée. Mais il convient de préciser que ces deux hautes autorités judiciaires sont choisies par leurs pairs, à l’issue d’une procédure durant laquelle le candidat décline sa vision de la justice et le projet d’amélioration qu’il compte mettre en œuvre. Ce mode de choix confère à ces deux autorités une légitimité qui, aux yeux de l’ensemble du corps judiciaire français, fait passer la discrimination au sujet de l’âge de la retraite comme parfaitement justifiée. Chaque système comporte une cohérence et une logique propres. Transposer certaines des règles d’un système étranger en oubliant la cohérence qui les fonde est une option dénuée de pertinence.
Nous restons persuadé que si, au Sénégal, le Premier président de la Cour suprême et le Procureur général près ladite Cour étaient proposés, non pas par le ministre de la justice, mais par les magistrats, la perspective d’un privilège sur l’âge de la retraite serait mieux perçue, à défaut d’être adoubée.
S’agissant de la réforme envisagée de l’article 65 du Statut des magistrats, le seul argument avancé, à ce jour, par les autorités, est celui relatif au départ massif de magistrats à la retraite. S’agit-il là d’une raison objective et raisonnable pour justifier la discrimination ? En réalité, on ne peut répondre valablement à cette question que si on la pose autrement : En quoi cette réforme est-elle utile à la justice ?
A cet égard, on oublie trop souvent que, si la justice est rendue au nom du peuple, elle doit aussi être administrée dans l’intérêt exclusif des populations. Or, sous ce rapport, une simple analyse des implications de cette réforme permet de prendre la mesure de ses effets néfastes sur l’un des piliers essentiels de la justice que constitue l’indépendance des juges.

II : La réforme de l’article 65, une menace pour l’indépendance de la justice.
En disposant à l’article 90 de notre Charte fondamentale que, dans l’exercice de leurs fonctions, les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi, le constituant sénégalais a entendu donner l’exacte mesure de cette condition qui exige des magistrats qu’ils s’affranchissent de toute forme d’influence.
Ainsi entendue, l’indépendance renvoie non seulement à une question d’état d’esprit, mais également aux rapports que la justice entretient avec les autres pouvoirs ou groupes de pression.
La consécration formelle de l’indépendance des juges ne suffit donc pas à en faire une réalité. Pour être effective, l’indépendance doit être garantie de manière à ce que le juge soit assuré de pouvoir exercer son office en son âme et conscience, sans s’exposer à des mesures de représailles de la part de l’exécutif ou d’un quelconque autre pouvoir .
La combinaison de l’article 65 du projet avec les dispositions du texte portant organisation du Conseil supérieur de la magistrature permet de se rendre compte à quel point cette réforme est susceptible de mettre à mal le principe de l’indépendance de la justice. En effet, la mesure envisagée subordonne la prorogation de l’âge de la retraite à l’exercice de certaines fonctions. Or, comme indiqué à l’article 8 du Statut portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, les propositions de nomination sont du ressort exclusif du ministre de la justice. Autrement dit, c’est au pouvoir exécutif que reviendra le privilège de décider si le magistrat, qui est à quelques mois de la retraite, devra cesser d’exercer ses fonctions à 65 ans ou les prolonger jusqu’à 68 ans. Peut-on imaginer pire scénario de fragilisation pour les magistrats ? Combien seront-ils à pouvoir résister à la tentation de se rendre docile dans le seul but d’obtenir le fameux sésame ouvrant droit à une prorogation ?
Il s’y ajoute que, même après avoir décroché le droit à une prorogation, le magistrat ne sera pas, pour autant, au bout de ses peines et angoisses. En effet, la retraite à 68 ans étant liée à l’exercice effectif de certaines fonctions (comme l’indique le terme « occupant » dans l’article 65), celui qui, à 66 ans, cesse d’exercer lesdites fonctions (pour affectation ou autre raison) devrait, en toute logique, faire aussitôt valoir ses droits à la retraite.
On imagine aisément que, dans une telle situation de précarité, certains magistrats feront sans doute tout pour entrer dans les bonnes grâces du pouvoir exécutif afin d’ obtenir l’emploi ouvrant droit à la prorogation et, une fois au perchoir, feront également tout pour y rester. Nous n’osons pas croire que ceux qui ont élaboré ce texte aient pris toute la mesure de ses effets dévastateurs pour la justice. Mais, en tout état de cause, ils doivent savoir qu’en faisant voter cette loi, ils auront porté la lourde responsabilité d’avoir semé les germes du « larbinisme » et du « carriérisme » dans cette justice que l’on voudrait pourtant forte, indépendante et crédible.
Au regard de toutes ces considérations, nous ne pensons pas que la raison tenant au départ à la retraite de quelques magistrats, fussent-ils de hauts magistrats, puisse, à elle seule, justifier qu’on compromette à ce point l’indépendance de la justice.

Conclusion
Il semble que de bonnes volontés soient entrain de travailler à la décrispation de la situation. Si tel est le cas, il faut s’en féliciter car la justice est l’affaire de tous et pas seulement celle des professionnels. C’est, précisément fort de cette conviction que nous avons pris l’option de contribuer à l’enrichissement de la réflexion sur les enjeux et implications de cette réforme. Le débat sur la justice est, en effet, trop important pour être confiné entre les murs d’un palais.
Naturellement, pour que ce dialogue puisse être fécond, il est nécessaire que les acteurs de la justice fassent preuve d’ouverture d’esprit et de sens du dépassement et acceptent de bon cœur, que les opinions les plus divergentes puissent s’exprimer dans la courtoisie, mais aussi dans le strict respect du devoir de vérité.
En un mot, nous devrions tous nous inspirer de cette sagesse que l’on prête à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrais jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »

Souleymane TELIKO, Magistrat

Fait à Dakar, 03 Décembre 2016


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